Hypothèses de recherche et méthodes employées - L’utilisation de la « mini-foire aux indicateurs » pour la mise en évidence des enjeux de qualité de la connaissance scientifique dans le débat social
Pour évaluer le risque que présentent les pesticides pulvérisés vis-à-vis des abeilles, les procédures réglementaires se basent sur l’évaluation de la toxicité aiguë (DL50 : Dose Létale qui entraîne la mortalité de 50% des individus traités), utilisée pour le calcul d’un quotient de risque (HQ), qui est, si besoin, complété par des tests de terrain. Ainsi, le dossier d’homologation pour la mise sur le marché n’avait reçu pour l’imidaclopride que l’évaluation de ces indicateurs, ce qui est mis en avance par le Ministère de l’Agriculture pour justifier l’autorisation du Gaucho pour l’usage en enrobage des semences de tournesol (Figure 1).
Figure 1. Commentaires concernant l’indicateur « Méthodes », par le Ministère de l’Agriculture
Néanmoins, les chercheurs du secteur public ont montré que le risque posé par les insecticides systémiques vis-à-vis des abeilles ne peut pas être estimé selon les mêmes protocoles que les insecticides pulvérisés (Arnold, in AFSSA, 2002, Rortais et al, 2005, Halm et al, 2006). Le HQ (le quotient de danger calculé sur la base de la DL50) ne peut pas prendre en compte ni les effets retardés des doses ingérées de manière répétée, pendant plusieurs jours (effets chroniques), ni les effets sublétaux, alors que ceux-ci sont très importants.
En ce qui concerne les effets sur la colonie dans son ensemble, la DL50 n’a pas de sens non plus car la mortalité de la moitié de l’effectif d’une colonie conduirait à la mort de toute la colonie (Figure 2). La procédure d’évaluation du risque qui s’est avérée adéquate pour le cas de l’imidaclopride est celle qui estime le risque à travers le calcul du rapport PEC/PNEC (Concentration Prédite d’Exposition / Concentration Prédite sans Effet pour les organismes de l’environnement) (CST, 2003).
Figure 2. Commentaires concernant l’indicateur « Méthodes », par les Scientifiques
Pour cette catégorie d’acteurs, le constat de l’inadéquation des pratiques réglementaires avec les fondements scientifiques de l’indicateur doit conduire à une réévaluation du risque selon des bases correctes du point de vue de la biologie de l’abeille et de l’écotoxicologie. Cette réévaluation a été réalisée par le CST, dont les conclusions ont indiqué un risque préoccupant du Gaucho en enrobage des semences de tournesol et de maïs vis-à-vis des abeilles. Ainsi, le jugement porté par les scientifiques sur cet indicateur est favorable, pour l’enjeu « Adéquation des procédures d’homologation aux insecticides systémiques d'enrobage » (« Tests »), au scénario « Retirer l’AMM pour tous les usages agricoles de l’imidaclopride ».
Le même indicateur est utilisé par cette catégorie d’acteurs pour porter un jugement positif pour ce scénario pour les enjeux « Abeille-bioindicateur » et « Dignité, statut et image sociaux », un jugement neutre vis-à-vis du scénario « Interdiction définitive du Gaucho sur tournesol et maïs », pour les enjeux « Adéquation des procédures d’homologation » et « Cohérence politique », un jugement négatif pour le scénario « Maintenir l’AMM pour tous les usages de l’imidaclopride », pour les enjeux « Adéquation des procédures d’homologation » et « Dignité, statut et image sociaux », etc.
Pour les chercheurs, la validité scientifique des méthodes joue un rôle social très important, car il donne des indications plus larges sur la crédibilité qui peut être associée à l’évidence scientifique fournie par l’un ou l’autre des autres acteurs (Figure 3).
Figure 3. Valeur de l’indicateur « Méthodes » pour la cellule Scientifiques x Socio x Maintenir
Suite à l'expertise des études Bayer par des chercheurs des institutions de recherche publique spécialistes de l'abeille, des carences graves, relevant de l'incompétence ou du manque de rigueur, sont mises en évidence : conditions expérimentales inadéquates (ex. : taille des colonies non représentative des conditions normales de développement d’une colonie ; temps d’observation du comportement de butinage trop court), usage incorrect des termes scientifiques (ex. : « Chinese honeybees » est un terme sans pertinence scientifique), manque de précision des méthodes de mesure, présentation défectueuse des résultats (absence de tests statistiques, témoins biaisés, manque de réplication, interprétation hasardeuse, laboratoires pas nommés), etc. (Arnold, in AFSSA, 2002, CST, 2003) (Figure 4).
Figure 4. Commentaires sur l’indicateur « Méthodes », par les Scientifiques
Les apiculteurs adhèrent à ces conclusions, et en conséquence jugent inadéquate la continuation de l’application de ces méthodes pour évaluer le risque des insecticides systémiques d’enrobage et nécessitant d’être complétée par de nouvelles méthodes (Figure 5).
Figure 5. Valeur de l’indicateur « Méthodes » pour la cellule Api x Politique x Maintenir
D’autres hypothèses, qui étaient valables pour les pesticides pulvérisés, mais qui ne s’accordaient pas au cas nouveau des insecticides systémiques, ont été également remises en cause, aussi bien par les scientifiques du secteur publiques que par les apiculteurs : la linéarité de la relation dose-effet (Narbonne, in AFSSA, 2002, Suchail et al., 2003) ; la présence des abeilles mortes devant le rucher comme critère pour juger s’il s’agit ou non d’une intoxication, et plus largement les protocoles de mesure pour les dépopulations (GVA, 1999, 2000, 2001, 2002, 2005); l’utilisation de la dose d’emploi pour mesurer les effets des insecticides systémiques (GVA, 2001).
Pour argumenter ses affirmations en appui de l’absence du risque du Gaucho en enrobage des semences de tournesol et de maïs pour les abeilles (et en conséquence son jugement favorable au maintien de l’AMM pour tous les usages de cet insecticide), Bayer considère surtout pertinents les essais de terrain, pour évaluer le risque des produits phytopharmaceutiques vis-à-vis des abeilles (Bayer Cropscience, 2006) (Figure 6).
Figure 6. Commentaires sur l’indicateur « Méthodes », par Bayer
La compagnie insiste sur l’adéquation entre les méthodes utilisées dans ses expérimentations et les tests prévus par la Directive 91/414/CE (Figure 7).
Figure 7. Commentaires sur l’indicateur « Méthodes », par Bayer